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Table des Matières

Introduction

Entachée de tout temps dans la culture occidentale d’un sens péjoratif, l’appellation de « musulman » constitue plus que jamais de nos jours dans le langage commun un terme extrêmement disqualifiant. Celui-ci renvoie aux formes de croyances considérées comme religieusement et socialement non légitimes en Europe occidentale. A l’inverse, dans le langage savant, le mot « musulman » désigne simplement un groupe religieux à la fois, distinct et minoritaire qui se démarque de la religion dominante établie [en ce qui concerne le continent européen et américain], sans s’y opposer ou rejeter la société dans son ensemble.

L’étude du rapport entre les musulmans et la société doit donc intégrer, d’une part, l’évolution de cette dernière et le mouvement religieux de l’Islam. Ce dernier, dans son aspect cultuel semble à priori être un concurrent par sa forme contestataire [revendication de la minorité exclue socioéconomiquement] ; D’autre part, les conflits sociaux [chômage, discrimination - raciale, sociale -, etc.] et les controverses culturelles [syndrome du colonisé, suprématie ethnique, antagonisme civilisationnel, etc.] font que les groupes de populations d’obédience musulmane seront, dans une conjoncture donnée [par exemple celle de l’exclusion sociale et citoyenne], considérés comme illégitimes voire dangereux pour le citoyen lambda ou l’ordre public.

I - Les musulmans et leur rapport au monde

De nombreuses tentatives pour caractériser le musulman1 ont été réalisées, tant par le discours savant que par le discours militant. Une définition habituelle mais superficielle consiste à prendre en considération les immigrés originaires du Maghreb fraîchement décolonisés, illettrés et incultes pour la rapporter faussement à une tradition d’origine islamique.

En vertu de cette pseudo filiation historique, on a fabriqué un Islam de l’immigré, de l’ouvrier, du pauvre, du colonisé et maintenant du Maghrébofrançais, du banlieusard, de la porteuse de foulard [de hidjab, de burka - ou bourka -], de l’islamiste, du djihadiste, du sectaire barbu enjellabé désœuvré et parasite de la société d’accueil.

De même, on a également distingué le musulman de haut standing désigné aussi comme intellectuel ou mystique se rattachant à la tradition occultiste ou ésotérique [Soufisme2]. Celui-ci, très discret, invente de nouvelles gnoses en interprétant l’Islam à sa manière et cela séduit bon nombre d’individus, en particulier, européens. Une telle allégorie du musulman ne présente qu’un intérêt limité, car elle laisse dans l’ombre les caractéristiques de structure interne de l’Islam où le mode de relation au divin et à l’environnement du musulman demeure essentiel.

A - Tels que vous êtes, tels que vous serez considérés

Bien qu’aucune typologie ne fasse l’unanimité en sociologie des religions, la plus commune consiste à agencer les musulmans selon un axe allant du refus et de la haine du monde à son acceptation la plus idolâtre. Le recours à ce critère se base sur la tradition sociologique européocentrique qui a conceptualisé l’Islam - et donc le musulman - comme une forme de croyance structurellement en tension avec la société globale, avec l’État, avec les autres religions établies, bref avec tout l’Univers.

L’Islam a toujours passé un compromis avec la société et ses valeurs [caractères de ce qui est estimable], c’est à dire l’Islam des Sciences et de la Technologie, de la Sagesse, de l’Ijtīhād [recherche critique, scientifique], de la quête de la satisfaction d’Allah, du service envers l’Humanité, de l'abnégation, du sacrifice à l’encontre d’une cause ou d’un idéal ; bref, tout ce qui a fait la grandeur de la Civilisation de l’Islam Classique [CIC], cette civilisation monothéiste, héritage de nos sociétés contemporaines. Cette dernière s’est éteinte depuis des siècles à cause des Traditionnistes3 qui ont sclérosé l’intellect du musulman, dégénéré la société musulmane et par là, pétrifié l’Islam [peut-être à tout jamais]4 ! Ainsi, le terme « musulman » est depuis le XIVe siècle vide de sens, c’est une expression générique qui caractérise n’importe qui et n’importe quoi. Qu’a-t-elle de musulman, par exemple, dans les pats du Golfe, cette croyance bédouine, le Wahhabisme5 ; en Europe, celle des sectes enjellabées et barbues inutiles au genre humain, gravitant autour des aides et des prestations sociales ; ni celle des confréries chasseuses de primes [ou « Bounty Killers »], ni des Çalāteurs professionnels [affiliés à la Çalāt - prière -] imprégnés de haine envers le genre humain6.

C’est ce type de « représentant » de l’Islam inculte que le langage courant nomme « musulman7 » qui remet en question le modus vivendi en cours en proclamant des valeurs étranges, en se dotant de modes d’organisation sectaires récusés par l’intelligence et la société ; et en exigeant de ses adeptes qu’ils fassent un choix en rupture avec ce qui est conventionnellement admis dans le monde.

La vision sociologique classique du musulman l’associe ainsi à un potentiel de rupture avec l’ordre social. Néanmoins, ce rejet du monde peut pendre des formes et des intensités extrêmement variées : il peut se manifester sous l’aspect d’un conflit ouvert à l’encontre des institutions par des fanatiques dits révolutionnaires apocalyptiques. Ceux-ci se prétendent l’instrument divin d’un renouvellement du monde ou d’un retour à la source. Il peut aussi se traduire par la création de confréries religieuses constituées de candidats à l’idéalisme8 rétrograde contre le progrès en restant attaché aux valeurs archaïques du passé qui désirent adapter à une échelle réduite l’utopie d’un monde libéré du péché.

Le rejet du monde et hypocritement non de sa technologie peut s’exprimer, plus généralement encore, par une intériorisation qui couve une frustration explosive et pernicieuse. Il s’agit de « musulman » dit piétiste ou puritain qui appelle à la conversion du physique et de la rupture avec la vie en société sans exiger de leurs membres une transformation du cœur, une évolution intellectuelle et un développement mental [religion wahhabite].

Les « musulmans » virtuels qui repoussent le monde [qu’ils s’isolent physiquement de la société ou non] symbolisent généralement leur refus par quelque signe distinctif, un déguisement : le port d’un vêtement particulier comme la jellaba [ou la gandoura, la « habaiya »] ou la kamistenue traditionnelle pakistanaise »] et l’adoption de la barbe qui est le refus de la pratique du rasage. Quant à leurs femmes, la tenue de la burka9 est de rigueur. Souvent, le rejet du monde se traduit par semer le Désordre, il se cristallise en refus de reconnaître la légitimité de la puissance étatique et s’exprime par l’abstention face à des pratiques jugées idolâtriques telles que le vote, l’accès au travail des femmes, la parité au niveau des fonctions étatiques, etc.

À l’inverse, certains musulmans témoignent d’une volonté à la participation globale du monde : loin de vouloir isoler leurs membres de la société, ils essayent au mieux de les y insérer en leur offrant les outils cognitifs intelligents [Coran et Ijtīhād] pour s’affirmer en tant qu’individus musulmans, citoyens à part entière et capables de se réaliser pleinement dans le monde moderne et dans la vie sociale.

Ces musulmans au discours et aux actions ouvertement dynamiques ont un caractère plus éloigné de l’image conventionnelle de cette religion que certains veulent dépeindre [et que d’autres affichent] comme réfractaire à toute notion de civilisation et de progrès et faisant des musulmans des ratés de l’Univers qui récusent le monde faute de ne l’avoir pas su le conquérir et le régenter !

Une vision réductrice pourrait faire croire que plus un individu ou un groupe repousse vigoureusement le monde, plus il sera repoussé par la société. Souvent la relation entre les deux attitudes est synergique pour ne pas dire mécanique : il arrive que ce type d’action, tant qu’elle ne nuise pas directement à la société, suscite plus d’indifférence que de franche hostilité de la part de cette dernière.

De plus, des musulmans qui refusent les valeurs du monde rencontrent une opposition bien plus vive dès lors que leurs procédés et leurs formes d’organisation ou d’enrôlement, à défaut de leurs valeurs, sont susceptibles de faire l’objet d’une réprobation sociale énergique.

1 - Musulmophobie - Définition

Expression qui découle des termes musulman et phobie. Cette formule caractérise un individu qui professe la religion musulmane ou la croyance intelligente de l’Islam et qui est conforme aux principes essentiels de ses directives10.

Par définition, le musulman, personne adepte de l’Islam, est le sujet d’une crainte, d’une aversion, c’est à dire d’une peur pathologique et injustifiée.

Musulmophobie est, de ce fait, le terme approprié car il incarne une entité réelle et visible : le musulman.

L’Islam étant l’ensemble d’un mode de vie, l’expression d’une civilisation régissant le rapport du musulman et de l’Homme, du musulman et de la nature, enfin du musulman et de la divinité et des attitudes qui en découlent11. De ce fait, l’Islam étant une notion abstraite, l’Islamophobie [terme très en vogue] est, certes, une peur de l’Islam, mais une phobie abstraite, irréelle, impalpable et donc inaltérable !

Personnifiant normalement l’Islam, et là il faut insister sur le terme « normalement », d’une manière dynamique, le musulman est perceptible ; il devient identifiable et de ce fait, il peut faire l’objet d’animosité et d’agressions physiques et morales. D’une certaine manière, attaquer de front l’Islam en tant que concept est une entreprise vaine.

Depuis quatorze siècles, ses contradicteurs essaient de réaliser cette entreprise, mais en vain. Le Coran lui-même confirme cette assertion :

« En vérité, c’est Nous qui avons fait descendre al-Dhikr [Coran], et c’est Nous qui en sommes Gardien12 » (Coran, 15-9)

Dès lors, c’est à travers le musulman que les contradicteurs pensent, à tort, pouvoir porter atteinte à l’Islam !


1Un musulman est un adepte de l’Islam qui a si bien saisi le contenu coranique qu’il est en mesure de se consacrer à défendre un haut idéal, une cause noble celle d’« Être au service de l’Humanité » [intellectuellement, culturellement, spirituellement, socioéconomiquement, esthétiquement, etc.] et de s’affranchir de la Tradition [Hadiths], source de la fossilisation de l’Islam et de la ruine des Musulmans. En d’autres termes, dans l’absolu, le Musulman doit être un modèle incarnant l’Islam dans son corps et dans son esprit, dans ses paroles et dans ses gestes, dans sa sensibilité et dans ses relations avec l’Univers qui l’entoure.

2Soufisme. Doctrine ésotérique attribuée faussement à l'Islam mystique et ascétique. L’Islam n’a pas pour vocation le mysticisme et l’ascétisme, au contraire.

3Traditionniste. Ce terme désigne les professionnels du Hadith et de la Sunna qui représentent la Tradition ou le Traditionalisme. Ainsi, les Traditionnalistes ne se réfèrent qu’à la Tradition plutôt qu'à l'explication rationnelle ou scientifique des raisons de telle ou telle chose.

4NAS E. BOUTAMMINA, « Les ennemis de l’Islam - Le règne des Antésulmans - Avènement de l’Ignorance, de l’Obscurantisme et de l’Immobilisme », Edit. BoD, Paris [France], février 2012.

5Wahhabisme. Religion des pays du Golfe et de leurs satellites [Pakistan, Afghanistan, Soudan, etc.] fondée par le faux prophète Muhammad ibn Abd al-Wahhab au XVIIIe siècle.

6NAS E. BOUTAMMINA, « Français musulman - Perspectives d’avenir ? », Edit. BoD, Paris [France], mai 2011.

7D’un point de vue didactique, on gardera le mot « musulman » entre guillemet, bien que celui-ci est un non-sens.

8Idéalisme. Courant philosophique qui subordonne l'expérience à la pensée.

9Burka. Dans le Haut Moyen-âge européen, on retrouve le même type de tenue vestimentaire : des gants et une longue robe de couleur uniforme couvrant tout le corps y compris la tête avec un emplacement pour les yeux, une sorte de treillis - grille - en toile de chanvre qui permet de voir. Ce genre de vêtement était caractéristique des lépreux qui étaient obligés de le porter soit pour éviter le regard des autres sur leur difformité, soit pour réduire la contagion. Ils devaient également agiter une clochette pour avertir de leur présence. Cf. F. BERIAC-LAINE, « Histoire des lépreux au Moyen-Age : une société d'exclus », Edit. Imago, 1988.

10NAS E. BOUTAMMINA, « Connaissez-vous l’Islam ? », Edit. BoD, Paris [France], avril 2015. 2e édition.

11NAS E. BOUTAMMINA, « Les contes des mille et un mythes - Volume II », Edit. BoD, Paris [France], novembre 2011.

12Depuis plus de quatorze siècles, rien du contenu coranique [lettre, mot] n’a été modifié. En effet, depuis son apparition, innombrables sont les groupes ou individus qui ont essayé de le corrompre, mais en vain ! Alors, on use d’ingéniosité et l’objectif est de saper le Coran et donc l’Islam, de l’intérieur : la Tradition [Hadithisme]. Les Traditionnistes formatent les « musulmans » qui vont incarner cette aberrante « interprétation coranique », leur interprétation : un ersatz d’« Islam » anticivilisationnel, obscurantiste, immobiliste que nous connaissons fort bien actuellement !

II - Ressentiment séculaire et adaptation moderne

« Ni les Hādoūw, ni les Nāçāra ne seront jamais satisfaits de toi [ô Moūhammad], jusqu’à ce que tu suives leur religion… » (Coran, 2-120)

A - Animosité envers le musulman

En adaptant ce verset à la situation actuelle des « musulmans », on peut dire qu’il ne perd rien de sa valeur pédagogique et historique. A l’extérieur des territoires de l’Islam13, le ressentiment envers le musulman ou musulmophobie, ce fut d’abord celui du pouvoir ecclésiastique et celui des actions judiciaires régulièrement menées par l’Inquisition14, puis par le Colonialisme avec la violence que l’histoire nous dévoile. L’acharnement que peut mettre contre une communauté l’appareil étatique et ecclésial - à ce niveau les deux institutions se confondent - [ceux qui le servent et ceux qui l’encouragent] sert de modèle à une attitude qui appartient plus à un programme d’une machine qu’à une attitude humaine agressive !

Comprendre comment et pourquoi un individu et un groupe sont amenés à être musulmophobes, c’est poser dans toute son ampleur le problème de l’animosité ou de l’agressivité, le choix du vocabulaire dépend d’une option normative devant les diverses formes d’antipathie et de ressentiment.

D’autre part, s’il y a des individus qui en persécutent d’autres, fatalement, une dialectique de réciprocité s’installera.

1 - Les motivations de la musulmophobie

La musulmophobie est à l’agressivité exaltée ce que la combustion lente est à la déflagration. De ce fait, on pénètre la violence et la colère dans les conduites musulmophobes, mais sous un masque ; elles y sont généralement contenues et parfois extériorisées. C’est la différence entre la conduite motivée par l’émotion casuelle et celle qui l’est par un sentiment chronique ou une passion. Le musulmophobe est un passionné, non pas nécessairement au sens précis de la caractérologie [émotif actif], mais plutôt à celui de la psychiatrie où l’animosité en tant que colère chronique reste une pathologie mentale. Or la musulmophobie en tant que passion est une anomalie psychiatrique et que la frontière du psychotique et du pathologique demeure une séparation très floue.

Le musulmophobe centre ses psychoses passionnelles autour des délires de revendication processive, de la jalousie, de manque de confiance en soi, des troubles de la personnalité, etc. Celles-ci représentent les traits caractéristiques de la musulmophobie.

L’analyse de l’agressivité de la musulmophobie peut s’expliquer fort naturellement par la frustration, mais on fait la part trop belle au musulmophobe car on devra alors se souvenir que toute passion [y compris la musulmophobie] est passive, non pas dans ses conséquences, mais dans la manière dont elle est endurée par un être libre et pensant. En réalité, la musulmophobie est la prédisposition ou l’ensemble des aptitudes qui s'adaptent dans des attitudes réelles ou fantasmatiques qui visent à nuire au musulman, à le soumettre, à l’humilier, voire à le détruire, etc.

La musulmophobie, c’est la nocivité, le méfait ou le crime, l’opposé de l’altruisme, de la magnanimité. Elle est scandaleuse dans une société qui prône le droit de l’Homme, l’idéal de respect ou d’harmonie sociale !

Le problème étant ainsi replacé à son vrai niveau, qui est d’ordre moral et non médical. Il ne sera pas indispensable, pour décrire le musulmophobe, d’évoquer le grand criminel, mais tout individu qui s’attache ou s’acharne à en tourmenter obstinément un autre ; que ce soit de manière directe par des plaisanteries, des vexations, ou bien de façon indirecte par des médisances ou autres actions pouvant léser le musulman dans son travail, dans sa situation sociale, ses sentiments, et par extension par tout ce qui peut nuire à son bien-être existentiel.

L’opposé de la bienveillance étant non l’animosité mais l’indifférence égoïste qui se présente comme antinomique de la relation.

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